Se présentant comme des solutions à une « vieille scène politique » et surfant sur un besoin de renouvellement et d’horizontalité, les deux mouvements, dans des registres différents, n’échappent pourtant pas aux travers des partis qu’ils rejettent.
Les « mouvements », avenir ou symptôme d’un système politique malade, qui va puiser dans le passé des éléments de « modernité » pour faire « une tentative concrète de dépassement » des partis, comme le dit Jean-Luc Mélenchon ? Le succès de son mouvement, la France insoumise, comme de celui d’Emmanuel Macron, En marche !, témoigne d’un besoin de renouvellement des pratiques politiques.
Ce dernier se veut « transpartisan » et, pour les élections législatives, pioche mesures à droite et candidats à gauche. Le premier, qui avec 19,62 % des suffrages a raté de peu la marche du second tour de la présidentielle, brigue seul le titre de meilleur opposant les 11 et 18 juin. « L’effondrement d’une vieille scène politique », décrite par le porte-parole de FI, Alexis Corbière, pour justifier l’absence du PS et de la droite traditionnelle du second tour, fait-il partie de ces « moments de crise (d’où) émergent des choses », comme il l’avance ?
Depuis 2002, l’inversion du calendrier électoral permet d’offrir une prime au parti gagnant de la présidentielle en lui assurant une majorité parlementaire aux élections législatives. Pour la première fois, c’est une prime à la nouveauté qu’espèrent les mouvements. En vantant une prétendue « modernité » pour la République en marche ou en convoquant l’histoire de « notre famille, héritière du « mouvement ouvrier » », dixit Jean-Luc Mélenchon pour la France insoumise, chacun tente de capitaliser sur l’« effondrement » des partis.
« EN MARCHE ! EST L’INVERSE D’UNE DÉMARCHE CITOYENNE »
Deux démarches, traduites par les choix très différents des candidats aux législatives, qui affichent des parallèles dans leur construction politique. Pour le leader de la France insoumise, son mouvement est « un lieu de rassemblement où chaque personne décide individuellement et au coup par coup du niveau de son engagement et de sa participation effective aux diverses tâches et campagnes » : « Tout repose évidemment sur la plate-forme Internet, qui permet ce que l’on appelle l' »horizontalité » », écrivait-il sur son blog le 28 mai. Même tonalité chez les militants. Pascal Dumeste, suppléant dans la 2e circonscription de la Dordogne, rencontré lors de la convention nationale du 13 mai, se dit « prêt à se battre jusqu’au bout, ne serait-ce que pour montrer que la politique doit être faite différemment » par des « insoumis », qui ne sont en aucun cas des « adhérents », avec des « élus mandatés révocables » et un « collectif qui se réunit, qui propose, qui discute ». Soit « la place au peuple, vraiment ». Pour Élodie, volontaire FI, seul compte le programme, qui doit « être porté jusqu’au bout ». D’ailleurs, il « détermine le mode d’existence de cette organisation », estime Jean-Luc Mélenchon :
« Au sein de nos bénévoles, il y a des gens qui font partie du PS, des communistes… On n’impose pas d’étiquette », avance-t-il. Il n’empêche, les mouvements peinent à se défaire de ce qu’ils rejettent dans le fonctionnement des autres partis : le centralisme, voire la verticalité de la prise de décisions. En marche ! avait adopté cette manière peu démocratique avant même de changer de nom pour la République en marche (REM), après la présidentielle. « Pour l’instant, (il) crée une mécanique centralisée et incroyablement verticale », concédait même l’éditorialiste de France Inter Thomas Legrand, dès le 20 janvier.
« FAIRE DE L’HORIZONTAL ALORS QU’IL N’EXISTE QU’UN INTERLOCUTEUR, QU’UN POINT CENTRAL, NE SUFFIT PAS. » VINCENT TIBERJ, SOCIOLOGUE
Un modus operandi conforme à l’idée qu’on peut se faire de la « vieille politique » : une commission de 9 membres, nommés par Emmanuel Macron, désigne les candidats aux élections, les « référents » sont nommés par des départements à la tête de comités locaux… Ainsi les « marcheurs » de la 11e circonscription de Paris ont eu beau refuser la candidature de l’ex-Modem Marielle de Sarnez et choisir une candidate dissidente, la ministre des Affaires européennes a été imposée par les instances nationales, bien qu’elle ne respecte pas les « critères de choix des candidats et, en particulier, le renouvellement », dénonçait une militante, dans le Monde du 29 mai.
Un exemple révélateur, qui découle d’une démarche quasi monarchique, analysée par la sociologue Monique Pinçon-Charlot : « Macron s’est présenté à une élection présidentielle sans jamais avoir été élu, quasiment en vertu du droit divin. » Nicolas Framont, sociologue, renchérit : « En marche ! est l’inverse d’une démarche citoyenne. C’est encore moins citoyen qu’un parti politique, avec une organisation encore plus verticale, à l’américaine, où les citoyens n’ont aucun rôle à jouer et où les militants sont de simples supporters. Ses initiales sont révélatrices de cela (« EM » pour Emmanuel Macron et En marche ! NDLR). »
DES CANDIDATS ONT ÉTÉ IMPOSÉS PAR LES INSTANCES NATIONALES
La France insoumise se pare d’atours plus démocratiques. Sur son blog, Jean-Luc Mélenchon écrit que, à « la convention nationale du mouvement » du 13 mai, son mouvement « a ratifié (la) liste de candidatures aux élections législatives ». Si on ne trouve pas trace de cet acte dans la vidéo de la convention, visionnable sur Youtube, on y apprend le détail du processus de nomination, de la bouche de l’animatrice du comité électoral national, Martine Billard : « seize personnes, dont huit tirées au sort par les groupes d’appui, quatre issues de l’espace des luttes et quatre de l’espace politique ». Celles-ci ont arrêté la liste définitive des candidats aux législatives à la suite d’un « processus le plus transparent possible ».
« Ce n’est pas comme à En marche !, nous, il n’y a pas un comité national qui décide des candidats. Il y a eu des réunions de circonscription » qui ont fait des « propositions » et le comité électoral « tranchait en dernier ressort ». Question de « parité » et de « diversité », socioprofessionnelle notamment, selon l’oratrice nationale. Pourtant, là aussi, des candidats ont été imposés par le comité électoral national, contre l’avis des « insoumis » locaux, comme dans la 14e circonscription du Rhône, où ils avaient décidé de ne pas entraver la candidature de Michèle Picard (PCF)… Ailleurs, les groupes locaux ont bien investi leurs candidats mais renvoient toute discussion à l’échelon national, comme dans la 2e circonscription de la Gironde : « Nous n’avons aucune légitimité pour négocier le désistement de la 1re ou la 2e, ou inversement (proposition faite par le PCF NDLR) », expliquait ainsi Pierre-Yves Modicom, directeur de campagne FI, à Rue89 Bordeaux, le 12 mai : « Nous n’avons pas d’instances départementales. Il n’y a donc pas d’interlocuteur pour cette proposition. » Pour le sociologue Vincent Tiberj, rattaché à Sciences-Po Bordeaux, rien d’étonnant. La question, selon lui, de la verticalité et de l’horizontalité est « vieille comme les partis politiques ». Il pointe « ce phénomène, où il se dégage progressivement des élites qui, du coup, se mettent à prendre des décisions, dans une logique de division des tâches » : « À part du côté des mouvements anarchistes, la question de la verticalité est le tournant naturel parce qu’elle engendre de l’efficacité et de la cohésion idéologique », analyse-t-il.
ENTRE 2010 ET 2017, IL Y A COMME UN ÉCHO…
Jean-Luc Mélenchon ne dit pas autre chose. Pour lui, le terme d’horizontalité « sousentend souvent une opposition à la verticalité qui est parfois tout simplement incontournable dans l’organisation d’une action ». « L’autre solution est le parti sans partisans, c’est-à-dire qu’avec des professionnels du message politique », explique Vincent Tiberj, pointant En marche !, qui fait preuve selon lui d’une « horizontalité factice » : « Le mouvement consulte les adhérents mais ne les écoute pas. Les marcheurs n’ont pas eu leur mot à dire sur leurs candidats. C’est moins démocratique qu’au PS ou aux « Républicains » », complète-t-il.
Le « phénomène » Mélenchon, déjà présent en 2012, a été largement exploré en tant que « nouveauté », même si la curiosité s’est un peu aiguisée avec l’émergence de la France insoumise. Mais, au concours de modernité 2017, c’est Emmanuel Macron, le « zéphyr de nouveauté sur la vie politique », dixit Laurent Joffrin dans Libération, qui a suscité le plus d’engouement, médiatique notamment. « Jeune homme très pressé », qui mène une campagne « high-tech », avec des militants rebaptisés « helpers »…
Le storytelling en a trop fait pour vendre un phénomène déjà observé dans l’histoire politique. Si, le 21 avril, Dominique de Villepin déclarait au Parisien qu’il faudrait qu’En marche ! « ne soit pas un nouveau parti, lié uniquement par une allégeance personnelle, mais un espace de renouveau et de débat », c’est que l’ex-premier ministre avait déjà tenté la même expérience… en 2010, en créant République solidaire (RS). Différence de taille, lorsqu’il lance son mouvement, Villepin avait un projet. Le candidat Macron, lui, estimait, dans le JDD du 12 février, que « c’est une erreur de penser que le programme est le coeur » d’une campagne électorale. Pour le reste, entre 2010 et 2017, il y a comme un écho…
« LA CONTRAINTE INSTITUTIONNELLE DE L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE »
D’ailleurs, un certain nombre de cadres de RS ont été recyclés à REM, à l’instar de l’ex-ministre chiraquienne Marie-Anne Montchamp, qui a quitté « les Républicains » en mars 2017 pour la rejoindre. Comme Macron, « par l’occupation successive de postes clés » (Affaires étrangères de 2002 à 2004, Intérieur de 2004 à 2005, Matignon de 2005 à 2007), Villepin avait noué « des relations (…) qui constituent alors son capital social », notait Stéphane de Maupéou dans un mémoire sur ce « mouvement » (1). Le parallèle avec le nouveau président de la République, passé par la commission Attali et à Bercy, est évident. Mais l’auteur va plus loin, caractérisant et le « villepinisme » et, avec un temps d’avance, le « macronisme » : « La dynamique centralisatrice qui pousse le mouvement à s’organiser autour d’un leader et d’un projet et non par la structure et l’action (fonctionne) bien parce que dans le cas du villepinisme le leader et le projet précèdent l’organisation. » De plus, « la construction rapide » de son organisation et « la contrainte institutionnelle de l’élection présidentielle » astreignent le parti à « adopter une « organisation pyramidale » », écritil. Résultat : « Sa physionomie (est) liée à l’élection » et est donc taillée pour la Ve République avec une présidentialisation à outrance, comme En marche !. « Comme tout parti, (REM et FI) auront à changer de tête », et donc devront « survivre aux leaders et au culte de la personnalité », pointe néanmoins Vincent Tiberj : « Si les intentions de vote sont plus faibles pour les candidats FI que pour Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle, c’est bien que ce dernier conditionne le collectif à sa propre personne et ne se fond pas dedans », analyse le sociologue. Pour En marche !, qui a pour sa part accédé au pouvoir, le test ultime se tiendra dans les cinq ans : « À un moment, les choix d’Emmanuel Macron vont être contestés, comme la mise à l’agenda d’une loi ou l’orientation de la ligne politique à gauche ou à droite. Cette logique gaullienne ne peut pas tenir longtemps face au travail des élus. » D’autant que, pour 2022, « la carte du renouvellement ne pourra pas se jouer une deuxième fois ».
(1) « Du mouvement au parti politique : le processus d’institutionnalisation et la place du « villepinisme » dans le système de partis ». Mémoire de master en études politiques (Panthéon-Assas), 2011.